Hier j'ai emmené Alice dans un parc de loisirs indoor. J'étais très réticente à l'idée d'y aller, car la première fois s'était très mal passée (j'y reviendrai plus loin). Ce qui m'a décidée, c'est qu'Alice s'était rendue là-bas avec la garderie au mois de juillet et qu'elle avait vraiment envie d'y retourner ; j'ai donc essayé de mettre de côté mon appréhension et de lui faire plaisir.
A un moment, alors qu'Alice s'amusait sur un petit toboggan, une fillette plus petite (3 ans) a fait une colère. La mère de cette petite fille était seule avec elle, et comme toute mère confrontée à son enfant qui fait une colère en public, elle a géré comme elle a pu : elle l'a punie en la privant de sucette, elle l'a culpabilisée, puis elle lui a dit qu'elles rentraient à la maison, avant de revenir sur sa décision une fois la crise passée. Elles étaient juste à côté de moi donc j'ai tout entendu (je prenais soin de ne pas les regarder pour ne pas gêner la maman, car je sais très bien ce que l'on ressent quand son enfant fait une crise de calgon dans un lieu public). Dans ma tête je lui disais : "mais non, ne lui dis pas ça, la pauvre..." ; non comme un jugement mais parce que ses propos me renvoyaient en pleine face des erreurs que j'avais faites moi-même avec Alice (et que je fais toujours d'ailleurs...).
La première fois dans un parc de loisirs, Alice avait 3 ans et demi. Elle avait consenti à aller dans la piscine à balles, mais il fallait toujours rester près d'elle. Elle avait refusé d'aller dans les structures gonflables. Elle avait refusé d'aller dans la zone de jeux à proprement parler. Elle avait refusé de s'approcher d'un autre enfant. Elle avait refusé de glisser sur un minuscule toboggan mou. Je ne me voyais pas aller là-dedans avec elle, d'une parce que j'avais peur du ridicule, et de deux parce qu'AUCUN autre parent n'y allait. Je voyais tous les enfants courir ensemble, grimper, faire les fous ; je voyais leurs parents boire leur café ou checker Facebook pendant ce temps-là ; et en comparaison je voyais ma fille rester collée à moi et chouiner... Cela m'insupportait, tout comme cela m'insupportait de devoir lui tenir la main sur un toboggan "classique" ou sur une échelle de corde dans l'aire de jeux de notre commune, alors que TOUS les autres enfants plus petits qu'elle s'y lançaient sans aucune appréhension.
J'ai analysé les choses depuis, et le problème de fond, c'est surtout que j'ai été formatée pour tout comparer. En effet, notre société ne cesse de comparer les enfants entre eux (et même les adultes...). Quand j'étais en maternelle, la mère d'une copine de classe nous demandait tous les quatre matins de nous mettre dos à dos pour savoir laquelle de nous deux était la plus grande. Si j'avais été correctement armée sur le plan affectif à l'époque je lui aurais suggéré d'aller bouffer ses macchabées, mais comme mon cerveau avait été conditionné pour que je sois comparée tel un cheval dans son écurie (et qu'accessoirement je vivais dans une insécurité affective totale), je fermais ma bouche et je me mettais dos à dos avec ma copine comme un bon petit soldat. Le problème c'est que j'ai reproduit ce schéma avec Alice : je l'ai comparée aux autres. Pourquoi avait-elle peur du toboggan ? Pourquoi voulait-elle rester collée à moi ? Pourquoi n'était-elle pas dégourdie ? Pourquoi tous les autres enfants de 3 ans étaient aussi sûrs d'eux et couraient instinctivement sur le pont de singe ou dans le tunnel à 6 mètres de hauteur ?
Loin de m'épauler, le papa est resté les bras ballants sans m'aider ni l'aider elle. J'étais en colère après lui de ne pas être un homme rassurant sur lequel je pouvais me reposer. J'étais en colère après Alice de ne pas être l'enfant rêvée. J'étais en colère après moi de penser cela alors que j'aimais infiniment ma fille. Inconsciemment je me disais que j'étais une mauvaise mère et que j'avais loupé quelque chose avec Alice. Cerise sur le gâteau de caca, j'ai croisé le mari d'une copine (avec sa fille de 6 ans SUPER DEGOURDIE bien sûûûûûr), et j'ai eu honte qu'il me voie en train de peiner pour une histoire ridicule de parc de loisirs à la noix. On a fini par partir avec Alice en colère dans les bras, en se disant qu'on ne remettrait plus jamais les pieds dans ce genre d'endroit.
Bref, vous voyez un peu l'état d'esprit dans lequel je suis arrivée à la nouvelle aire de jeux hier. ^^ Mais cette fois-ci j'ai réagi plus intelligemment que la première fois : au début il s'est passé ce que je redoutais : Alice ne voulait pas y aller. "Il y a d'autres enfants", me disait-elle. J'ai pris mon livre et je lui ai répondu très calmement : "Si tu veux qu'il n'y ait aucun autre enfant, tu me demandes quelque chose d'impossible. Donc de deux choses l'une : soit tu as envie d'y aller et tu y vas, soit tu n'as pas envie d'y aller et on rentre à la maison. Ce n'est pas grave si on rentre à la maison ; au contraire ça m'arrange car j'ai de la cuisine à faire. C'est toi qui décides".
Ca a marché : Alice était hésitante au début mais elle a fini par y aller. Je voyais les efforts qu'elle faisait et cela me remplissait le coeur de joie. A un moment donné elle a crié : "Regarde maman j'ai réussi à monter !" ; cela s'entendait dans sa voix qu'elle était fière d'elle. Ce n'était qu'un mini truc de 1,30 m de hauteur, mais ce n'est pas grave, c'était une victoire à son échelle. Plus tard elle a pris confiance en elle et elle a grimpé quasiment jusqu'en haut de la structure ; elle ne s'est pas aventurée jusqu'au tuyau tout au sommet mais là encore c'était déjà énorme pour elle d'aller jusque là. Quand elle est redescendue, je lui ai dit que j'étais très fière d'elle. Du coup, contrairement à la première fois, Alice est restée 2 heures dans l'aire de jeux et on en est ressorties toutes les deux en se disant qu'on avait passé un très bon moment. Et tout ça parce que j'ai lâché prise et que je ne l'ai pas comparée aux autres...
Cela m'a fait réfléchir d'une manière plus large : non seulement Alice est comme elle est, mais en plus elle est fille unique. En la comparant aux autres enfants je comparaissais ce qui n'était pas comparable : en effet 90 % des autres parents ont plusieurs enfants ; facile pour une fratrie d'être plus dégourdie puisque les aînés entraînent les plus petits. Est ce que le cadet serait aussi aventureux si son grand frère n'était pas là ? Je n'en suis pas sûre. Idem pour faire du vélo sans petites roulettes ou nager dans une piscine. Idem pour s'occuper à la maison : les mères de plusieurs enfants sont beaucoup moins sollicitées puisque leurs enfants jouent ensemble dans leur chambre. Ce n'est pas une question d'être une mauvaise mère ou autre connerie que je m'étais mise dans la tête ; c'est juste que je n'ai facilité la tâche de personne en n'ayant qu'un seul enfant. D'ailleurs quand j'invite un copain d'Alice à la maison, je n'existe plus et je peux faire mes papiers peinard (expérience vécue) :-) Je parie que si j'emmène son meilleur copain avec elle à l'aire de jeux la prochaine fois, elle sera stimulée et encore plus confiante.
BREF je peux me tromper, mais je pense que la maman de la petite fille de 3 ans qui a fait une colère était dans la même situation que moi en 2019 : avec une enfant unique en plein fucking three. Pour gérer la crise elle a joué la carte de la culpabilisation : "Je suis venue ici pour te faire plaisir ; je ne vais pas payer 7 euros si tu ne veux pas t'amuser" ; c'était une erreur mais elle a fait comme elle a pu. En l'entendant je me suis revue avec Alice avant, et j'ai même revu ma mère avec moi : combien de fois ma mère m'a-t-elle culpabilisée avec ses "j'ai tout sacrifié pour toi", alors qu'un enfant ne doit RIEN à ses parents, qu'Alice ne me doit RIEN, que je ne dois RIEN à ma mère et que je ne lui ai RIEN demandé, en fait ?
Bref quand on dit qu'être parent c'est compliqué, ce n'est vraiment pas un abus de langage... ^^